Prendre soin de son sol, le fertiliser et favoriser la vie
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5 questions à Emmanuel Bourguignon

pour prendre soin du sol de son jardin

Un sol vivant et fertile, couvert de plantes est capable de stocker du C02, réduire l’impact du réchauffement climatique et améliorer le stockage de l’eau. Nos jardins, que nous entretenons avec passion, ont donc tous un rôle à jouer ! À conditions de connaître son sol, son fonctionnement, sa texture, son pH, et d’adopter les bons gestes pour en prendre soin et faire de nous des jardiniers acteurs de la transition écologique. Nous scrutons le sol de notre jardin à la loupe avec Emmanuel Bourguignon, Docteur ès sciences en microbiologie et écologie du sol et consultant en gestion des sols. Il est l’auteur de Prendre soin de son sol, mieux le comprendre, le fertiliser et favoriser la vie, un livre de référence, accessible à tous et dont nous devons tous nous inspirer.

GARDENA - Comment faire un diagnostic simple de la terre de son jardin ? 

 

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Emmanuel Bourguignon - Il faut commencer par avoir une notion de la texture de son sol, s’il est argileux, sableux ou limoneux. Pour cela, il y a un test tout simple, c’est le test du boudin qui permet de déterminer le pourcentage d'argile qu’on a dans sa terre. Ensuite, il faut connaître le pH parce que c’est déterminant pour le choix des cultures. On peut acheter des bandelettes de mesure de pH dans le commerce ou faire le test suivant avec de l'acide chlorhydrique (ndlr : mettre des gants de jardin) ou du vinaigre blanc :  si de la mousse se forme quand on dépose le liquide sur le sol, on a un sol calcaire, dit aussi alcalin, probablement autour de 8. Si on a utilisé les bandelettes, un chiffre haut indique un pH calcaire, un chiffre bas un pH acide. Si le pH du sol se situe entre 6,5 et 7,5, alors on peut cultiver le plus grand panel de plantes facilement. C’est quand on dépasse cette fourchette que les contraintes arrivent, mais on va pouvoir cibler les cultures et amender la terre pour en corriger le pH. Typiquement, si on a eu la réaction de la mousse avec l’acide ou le vinaigre, donc un pH calcaire, on ne pourra pas planter de rhododendrons ou de myrtilles parce qu’ils vont mourir dans ce type de sols. Si, à l’inverse, on a obtenu un pH acide, on peut le corriger en apportant des amendements minéraux tels que coquilles d'huître, coquilles d'œuf ou cendres qui vont réduire l’acidité. Pour s’aider dans le diagnostic de son sol, on peut aussi observer les maisons et bâtiments anciens qui nous entourent. Construits avant le XIXᵉ siècle, on est sûr d'avoir des matériaux de construction correspondant à la réalité géologique de notre région. Si on a du schiste ou du granit, on est sur une géologie qui génère des sols à tendance acides. Si on est sur du calcaire de taille, il y a de fortes chances pour que le sol de mon jardin ait un pH basique. 

Si toutes les vieilles bâtisses sont en briques ou en torchis, avec des colombages, alors on est sur un sol sans roches, profond, argileux et lourd, avec un pH neutre. Là, il faudra veiller à l'excès d'arrosage. Enfin dans les paramètres de diagnostic du sol, il y aussi le taux de matière organique. Pour le connaître, on peut réaliser un test avec de l’eau oxygénée fortement concentrée à 110 volumes achetée dans le commerce : si une mousse se forme lorsqu’on la verse sur le sol, c’est qu’il contient de la matière organique. S’il n’y a pas de réaction, c’est qu’il en est dépourvu. Un sol trop acide ou un sol calcaire est toujours perfectible, c’est en cela qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais sols à proprement parlé. Mais un sol sans matière organique n’est pas un sol vivant, donc là c’est plus compliqué. 

 

GARDENA – Quels sont les cinq amendements que vous recommandez et que l’on a à portée de main ?

oeuf coquille - pixabay

Emmanuel Bourguignon – Je vais les citer en fonction du sol que l’on a et des choses à mettre en place en priorité. D’abord la coquille d’œuf concassée qu’on a tous chez soi, ou la coquille d’huitre, sources de carbonate de calcium d'origine animale. Lorsqu'on la pulvérise ou qu'on la saupoudre sur les sols, on apporte du calcium, mais aussi une foule d'oligoéléments, en particulier avec les huîtres et les moules, comme du sélénium et du molybdène. Ces oligoéléments sont prélevés en toute petite quantité par les plantes mais font vraiment la différence au niveau gustatif. Ensuite, l’argile ou bentonite, sauf si on a un sol extrêmement argileux. Mettre chaque année quelques grammes par mètres carrés d'argile du commerce créé du liant et lui permet d’être bien souple et aéré. Troisième amendement super important, le compost. S’il contient beaucoup de déchets de cuisine, d'épluchures, il sera suffisamment riche en azote, et si on ajoute un peu de broyat, de déchets verts, de feuilles mortes, ça génère une sorte de terreau très riche en matières organiques, en carbone, avec du phosphore et de la potasse. Ce compost va à la fois nourrir les animaux du sol, les vers de terre, les collemboles, les acariens, les bactéries et les champignons qui rendent le sol vivant et se combiner avec les argiles pour favoriser la formation des complexes argilo humiques. Et un sol riche en complexes argilo humiques est un sol plus poreux, plus résistant à l'érosion, avec une meilleure structure, donc un sol plus résilient et de meilleure qualité. Quatrième, le bois raméal fragmenté ou BRF. On peut le composter avant de l'utiliser ou le déposer directement sur le sol. Il stimule les champignons, et en particulier les basidiomycètes qui dégradent les lignines, c’est-à-dire les écorces et le bois contenus dans le BRF. Ces champignons vont assurer la fabrication des humus, donc la capacité de l'argile à s'attacher avec les humus pour faire des sols plus résilients et aérés. Ils augmentent ainsi la capacité naturelle du sol à retenir l'eau nécessaire au bon développement des plantes.

Avec le BRF, on génère au fil des années des sols capables de retenir plus d'eau mais sans asphyxier, avec des plantes qu’on a donc moins besoin d'arroser. Enfin, le dernier amendement, les cendres de cheminée en faible quantité, si on n'a pas accès à la coquille d'huître. Elle augmente le pH des sols trop acides et favorise l’attache des argiles avec les humus grâce à son apport de calcium et de magnésium. Quelques pincées de cendres dans son potager fait un très bon compost et en améliore le sol.

 

 

GARDENA – Tondre ou ne pas tondre, à quel rythme et comment pour préserver la vie du sol ?

Les déchets de tontes, matière d’amendement précieuse pour le jardinier

Emmanuel Bourguignon – Ce qui est gênant avec les tondeuses, c’est l’effet de tassement et de compaction du sol qu’elles produisent. Surtout si on veut un gazon très ras comme celui d’un terrain de foot, que l’on tond avec un tracteur tondeuse et qu’on le fait parfois en conditions humides. Les tontes répétées avec des tondeuses lourdes, ce n’est vraiment pas bon pour le sol. Parce qu’à partir du moment où on a des sols compacts, on n’a plus d'oxygène qui entre et l'eau stagne en surface quand il pleut. Il en découle toutes sortes de dysfonctionnements qui engendrent soit des maladies, soit des problèmes d'érosion. Les problèmes de compression sont vraiment les plus gros désordres que j'observe dans les sols. Ce qui peut être évité avec les tondeuses robots, qui ont l’avantage d'être légers. C’est la grande force de ces robots. Donc toute machine de tonte qui permet de réduire la compaction est évidemment plus que bienvenue. Autre inconvénient d’une tonte régulière, c’est qu’on ne laisse pas le temps aux plantes de faire leur cycle naturel et les exsudats racinaires : c'est-à-dire que les sucres qu’elles recrachent dans les racines et dans le sol pour nourrir les micro-organismes vont être insuffisants. Donc une pelouse tondue très ras régulièrement ne nourrit pas bien la faune du sol. Après, comme toujours, il faut mettre les choses dans leur contexte et l’usage que l’on fait de notre jardin. Chez moi par exemple, je suis obligé de passer la tondeuse parce que j’ai un très grand jardin. Alors je tonds régulièrement aux abords de la maison pour que les enfants continuent d’en profiter mais de manière très espacée les 95 % restants, avec des endroits même que je ne fauche qu'une fois par an pour faire les foins. On peut donc imaginer tondre une seule fois par mois les parties les plus en marge de son jardin, celles où on va le moins souvent. Ça s’appelle la pousse différenciée. On peut aussi changer de référentiel esthétique et passer du carré vert de gazon taillé ras à la prairie sauvage, avec sa multitude de fleurs, marguerites, centaurées, scabieuses, sauges des prés, et leur camaïeu de couleurs ! On tond alors simplement des chemins pour circuler et on passe à une autre manière de fonctionner avec son jardin.

L'excès de tonte, c’est aussi l’excès de déchets de tontes qu’on ne ramasse pas toujours. Ce qu’on appelle le mulching qui, à force, surtout si on irrigue et on fertilise le gazon, favorise la formation de feutre dans l’horizon de surface. Et là, ça peut amener le développement des mousses, une plus forte rétention d'eau, l'apparition de maladies sur les gazons et c’est une usine à gaz à entretenir ! De plus, il y a des sols dans lesquels le mulching est plus problématique : dans les sols à tendance acide, le feutre s'accumule plus rapidement que dans des sols légèrement basiques. Mais tout cela est affaire de nuances, car la tonte est aussi une source de matière organique fraîche, riche en azote pour améliorer ses composts, le déchet tonte est donc très précieux pour le jardinier. Et si je n’ai pas de tondeuse, je ne peux pas avoir ce déchet de tonte 

 

 

GARDENA – Quelles sont les principales erreurs à éviter quand on cultive son sol dans son jardin ?

Ameublir simplement la terre au potager sans la retourner suffit

Emmanuel Bourguignon - Le premier, c'est de trop donner à manger à ses plantes, trop d'engrais. On gave le système, le sol, les plantes et derrière, on a des maladies. On ne comprend pas, alors on remet plus d’engrais parce qu’on pense que les plantes ont faim. Il faut savoir qu’un sol vivant, dynamique fournit la grande majorité des éléments nutritifs dont la plante a besoin, même sur des plantes domestiques et sur des légumes sélectionnés depuis très longtemps. C’est encore plus vrai pour les variétés de légumes anciennes ou rustiques qui sont moins performantes en termes de rendement. Elles poussent simplement avec des apports de compost, un peu de paillage, de cendres ou de coquilles d'œuf. Ça c'est la première chose, l'excès d'engrais est négatif sur le long terme. La deuxième erreur, assez basique aussi mais encore trop ancrée dans les pratiques, c'est l'excès de travail du sol. Trop passer le motoculteur, trop labourer, bêcher trop profond, systématiquement butter et retourner le sol etc., c'est contre-productif. La grelinette ou la griffe suffisent pour ameublir le sol sur une dizaine de centimètres sans retourner les horizons de sol pour implanter ses cultures et faire ses semis. Enfin, le dernier point, c’est doucement avec l'arrosoir. On veut que nos plantes aient tout le temps à boire mais elles deviennent fainéantes, c’est-à-dire qu’elles s'enracinent peu parce qu'on leur donne toute l'eau dont elles ont besoin. Et le jour où votre commune met des restrictions d'eau, si toutes vos plantes ne périclitent pas, elles ont en tout cas grise mine. Au début de l'installation d'une plante, il vaut mieux lui apporter de l’eau en petite pluie fine, que le sol se ressuie vite en surface, pour que la plante se force à aller chercher la fraîcheur en profondeur, et à développer ses racines. On sait alors que cette plante résistera mieux aux sécheresses, au stress hydrique etc. et on aura moins besoin de l’arroser

 

GARDENA - Des conseils pour entretenir son sol selon l'usage qu'on fait de son jardin ?

Peu d’intervention du jardinier dans une prairie sauvage plantée d’arbres

Emmanuel Bourguignon - Effectivement, la gestion du sol va être différente selon les usages que l’on a de son jardin. Si je n’ai que quelques arbres fruitiers au milieu de ma pelouse que je laisse se transformer en prairie, j’aurai peu besoin d’intervenir parce que les arbres sont des plantes pérennes, qui ont besoin de peu d’éléments nutritifs. Le système va s'autogérer. Si en revanche, j’ai des platebandes de fleurs, des rosiers et des plantes à belle floraison, je suis obligé de fertiliser de manière un peu supérieure à ce que mon sol possède naturellement. Donc dans la gestion de ma terre, je vais veiller à apporter chaque année un peu de compost, pailler, extirper les mauvaises herbes envahissantes en début de saison. Les adventices sont particulièrement efficaces pour attraper l'azote disponible et démarrent plus vite que les fleurs ou les cultures qui nous intéressent. Il faut donc contrôler leur développement à 80% environ dès le début en les arrachant manuellement. C’est pour cela que fertiliser trop tôt dans la saison favorise aussi les mauvaises herbes. Lorsqu’on fait nos semis ou nos plantations de légumes, on a fait place nette, la terre est nue, vaut mieux ne pas trop donner à manger ou juste au pied de nos plantations pour ne pas nourrir les adventices qui ne demandent qu'à sortir. En revanche, dès que nos cultures ou nos plantes d’ornement commencent à s'étoffer, il est inutile d’extirper les deux ou trois mauvaises herbes qui végètent, car elles participent à la biodiversité et ont leur rôle dans le système. Et elles ne gênent plus.

Un dernier point sur la gestion du sol au potager, car c'est là que le jardinier a besoin de faire le plus d'apport de compost, de cendres, d'argile et parfois d’un peu d'engrais. Car au potager, on cultive des plantes dont la finalité est d’être extirpées du sol pour être mangées, et dans lequel elles ont puisé de l'azote, du magnésium, des oligo-éléments dont notre métabolisme a besoin pour rester en bonne santé. Et année après année, si on ne fait pas d’apport, on sort le sol de sa fertilité. C'est la même chose pour les platebandes de fleurs annuelles. Donc, si l’on doit avoir la main plus lourde et être plus interventionniste, c’est à ces deux endroits du jardin.

Emmanuel Bourguignon travaille avec l’agriculture, la viticulture et l’élevage et accompagne depuis une dizaine d’années les services techniques et d'espaces verts ainsi que les élus dans la mise en place de solutions vertueuses dans les villes. Il restitue son approche holistique respectueuse des sols, de l’environnement et de notre santé, dans son livre Prendre soin de son sol, mieux le comprendre, le fertiliser et favoriser la vie, paru aux éditions Ulmer, collection résiliences en 2024.